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31 juillet 2010 6 31 /07 /juillet /2010 02:06

Notion de locuteur entre l´unicité du sujet parlant et la polyphonie

Imed hadj Sassi

Plan du travail :
• Introduction :
Distinction entre phrase et énoncé, locuteur et sujet parlant, problématique.
1- La polyphonie :
Exposition de la théorie et sa critique.
2- Postulat de l´unicité du sujet parlant :
Théorie du sujet de conscience.
3- Expression de la subjectivité :
L’infaillibilité personnelle, l’accès privilégié, les règles de préservation de la référence, la préservation de la transparence propositionnelle
4- Notion de l’univers :
Univers de croyance, images d’univers
• Conclusion :
Redéfinition des concepts (locuteur , polyphonie, sujet parlant)



Introduction :
L’objectif de cette communication n’est pas de contester ou de remplacer mais de revoir le postulat de l’unicité du sujet parlant dans l’horizon de la « polyphonie » sans détruire totalement cette notion puisque chaque énoncé est pris en charge par un locuteur.
On peut commencer par distinguer la phrase de l’énoncé : La phrases est une entité abstraite qui correspond à un ensemble de mots combinés selon les règles de la syntaxe ; elle n'appartienne pas à l'observable, au donné, mais elle est un élément de l'objet théorique construit afin de rendre compte du donné (en termes saussuriens, elle relève de la langue) ; l’énoncé correspond à une énonciation particulière de la phrase. Dire qu'une suite linguistique produite par un locuteur constitue un énoncé, c'est dire d'abord que celui-ci s'est présenté, en la produisant, comme ayant eu pour but de dire ce qui est dit en elle.
Donc la notion du locuteur est fondamentalement liée à l’énoncé. Mais qu’est ce qu’un locuteur ? Quelle est la différence entre cette notion et la notion du sujet parlant ?
Notion du locuteur
Dans le schéma de la communication, le locuteur est celui qui prend la parole et qui utilise la première personne. Bien qu’elle soit très claire et nette, cette définition parait un peu étroite et manque de précision. Le locuteur, c’est l’être que l’énoncé présente comme son auteur, qui peut être, mais , n’est pas nécessairement , identique à l’auteur empirique de l’énoncé ou sujet parlant (Moeschler ,p189 ). Il est la personne qui produit des paroles. Le message est adressé à un destinataire ou interlocuteur. Il est possible que le locuteur ne soit pas le destinateur, c'est-à-dire celui qui conçoit le message. Dans ce cas, le locuteur est un intermédiaire. La distinction entre locuteur et destinateur est utile pour comprendre les mécanismes du discours rapport.
Notion du sujet parlant :
Traditionnellement considéré comme un phénomène de communication, le langage est un fait d'expression : l'énoncé est un objet produit dont le sujet parlant assume de façon variable la responsabilité.
la théorie linguistique classique suppose, en effet, un sujet maître de son langage et omniscient, connaisseur du sens et des effets des phrases qu'il forme ; ce sujet a reçu, traditionnellement, un nom : sujet parlant.
Cette théorie soutient et maintient un postulat qu’on nomme l’unicité du sujet parlant.
C’est un postulat, selon lequel, pour un énoncé, il y a un unique sujet parlant, qui est à la fois le responsable des activités psycho-physiologiques dont dépend la production de l’énoncé, et le responsable des « positions » exprimées par l’énoncé, la source des prédications qui y sont faits.(un concept proche et approprié ; c’est le sujet de conscience selon A . Banfield 1982. un énoncé = un sujet de conscience).
La problématique que nous suggérons est la suivante :
Peut-on réconcilier entre la notion du sujet parlant et la notion du locuteur sans pour autant rejeter la notion de la polyphonie ? ou bien ; peut on donner une autre conception de polyphonie pour sauvegarder deux notions corrélatifs : sujet et conscience ?.
1- La notion de polyphonie :
La notion de polyphonie désigne, de manière très générale, la présence dans un énoncé ou un discours de « voix » distinctes de celle de l’auteur de l’énoncé. elle vise fondamentalement à mettre en cause le postulat de l’unicité du sujet parlant.( Un énoncé = un sujet) .
Cette notion maintient une conception particulière de la langue.
La langue a fondamentalement pour objet non de représenter le monde ou des états de fait, mais de régler le jeu intersubjectif, par l’imposition de droits et d’obligations impliqués par la force illocutionnaire des énoncés.
Le locuteur, être présenté par l’énoncé comme son auteur, est en substance différent de son auteur empirique, le sujet parlant. Exemple : Paul : Pierre m’a dit : « je m’en vais ».
Cette distinction permet de décrire le prénom je comme renvoyant non à celui qui parle (Paul) , mais au locuteur , l’être qui d’après l’énoncé en est l’auteur (Pierre) .
Locuteur comme être de discours :
Ducrot distingue le locuteur en tant qu’il est présenté comme responsable de l’énonciation, ou locuteur en tant que tel (L) , du locuteur en tant qu’être du monde , indépendamment de son énonciation , ou locuteur en tant qu’être du monde (λ)
Pour Ducrot, le locuteur est aux différents énonciateurs qu’exhibe la structure des énoncés ce que l’auteur d’une pièce de théâtre est à ses personnages : c’est par la mise en scène qu’il s’exprime. Et la notion de polyphonie désigne moins la présence simultanée d’énonciateurs distincts que le dispositif (=mécanisme) stratifié de la mise en scène, qui rend possible cette multiplicité des voix .
Quelques phénomènes(ou bien faits) polyphoniques :
- Discours rapporté
- Présupposition
- Intertextualité
- La citation (plus au moins volontaire et consciente) de propos d’autrui.
- La négation
La négation :
La description de la négation linguistique constitue une première validation de l’approche polyphonique .Pour Ducrot, tout énoncé négatif consiste en la mise en scène de (au moins) deux énonciateurs distincts : un énonciateur E1 « assertant » un certain contenu, que E2, le second énonciateur, nie. Dans un énoncé négatif, le locuteur est assimilé à la position de l’énonciateur 2.
Exemple : Jules n’est pas grand
cette phrase exhibe ainsi un énonciateur E1, responsable du contenu Jules est grand , et un énonciateur E2, qui s’oppose à E1, Jules n’est pas grand : le locuteur adopte la position de E2.

Une critique de la polyphonie :
La théorie de la polyphonie due à Ducrot a eu le mérite de mettre en lumière un certain nombre de phénomènes et d’en fournir une nouvelle analyse. Elle rencontre cependant un certain nombre de difficultés :
1) La première tient à la motivation même de l’analyse polyphonique : en effet, sa motivation première n’est pas de combattre l’unicité du sujet parlant, mais bien de rendre compte du hiatus qui sépare la signification de la phrase, entendue au sens traditionnel, du sens de l’énoncé.
2) La compatibilité des différents analyses polyphoniques entre elles) analyse des énoncés ironiques négatifs).
3) Difficulté majeur : la multiplication des entités théoriques (l’analyse de l’auto-ironie, pour qu’elle ne contredise pas l’analyse de l’ironie qui interdit l’assimilation du locuteur et d’un énonciateur, impose la division du locuteur en deux êtres théoriques différents, le locuteur en tant que tel et le locuteur en tant qu’être du monde).
4) L’analyse des énoncés ironiques négatifs aboutit à l’hypothèse d’énonciateurs de niveaux différents, on peut s’interroger sur le nombre d’êtres théoriques ou de niveaux que nécessiterait un plus grand nombre de phénomènes linguistiques
5) La théorie de Ducrot, malgré son intérêt évident, ne résout pas tous les problèmes de l’énonciation et, en particulier, elle laisse dans l’ombre, l’aspect référentiel des phénomènes liés à l’énonciation.
6) Cette théorie ignore le rôle des marques de l’énonciation et notamment de la première personne dans l’expression de la subjectivité par la langue.
Un retour à la notion du sujet parlant (particulièrement au sujet de conscience chez Ann . Banfield ;1982) pourrait éclairer mieux la problématique que nous traitons .
2- Unicité du sujet parlant :
Théorie du sujet de conscience :
Ann Benfield propose la règle suivante qui vaut pour les phrases au style indirect et celles du discours direct :
Règle de l’unicité du sujet de conscience :
1) Pour toute phrase au style indirect libre ou au discours direct, il y a au plus un référent, appelé le sujet de conscience, auquel tous les éléments expressifs sont attribués. Ce qui signifie que toutes les réalisations du sujet de conscience dans une phrase unique sont coréférentielles.
2) S’il ya un je , je est coréférentiel avec le sujet de conscience .En l’absence d’un je , un pronom personnel à la troisième personne peut être interprété comme sujet de conscience.
3) Si la phrase est reliée de façon anaphorique au complément d’un verbe de conscience, son sujet de conscience est coréférentiel avec le sujet ou l’objet indirect de ce verbe.
L’analyse de Banfield contredit celle de Ducrot puisqu’elle récuse la possibilité de plusieurs sujets de conscience différentes dans une phrase, aussi bien que celle d’un sujet de conscience différent du locuteur.
Le problème majeur, à cet égard, est le problème de la subjectivité. Ducrot fait du locuteur et des énonciateurs des êtres théoriques qui n’ont pas, en principe, à être identifiés à un individu dans le monde .D’ou on peut dire que Ducrot ne traite en fait pas du problème de la subjectivité.
3-Expression de la subjectivité :
On doit noter que la possibilité d’expression de subjectivité est multiple. La langue nous offre la première personne, au premier lieu, pour nous exprimer (cf. Benveniste 1966) , mais aussi la deuxième et la troisième personne peuvent aussi le faire.
Le pronom de première personne, comme d’ailleurs à propos de tous les pronoms personnels, est un terme référentiel.
La référence est avant toute chose un acte de langage et comme tout acte de langage, il peut réussir ou échouer.
Mais , il faut bien distinguer la référence sémantique de la référence du locuteur : la première , c’est l’objet que l’interlocuteur en arrive sur la base de la signification de l’expression référentielle en question ; la deuxième , c’est l’objet que le locuteur voulait désigner .
A ce niveau de l’analyse, on est obligé de faire appel au phénomène de l’infaillibilité personnelle selon lequel on peut formuler deux idées fondamentales :
- on peut se tromper sur la personne à laquelle on parle (au téléphone par exemple..) mais il est impossible de se tromper sur la personne désigné par je.
- Pour toute occurrence de je, la référence du locuteur est identique à la référence sémantique.
Un autre phénomène d’importance énorme nous devons le signaler à ce propos , c’est l’accès privilégié .
Cela veut dire avec toute netteté que nous n’avons pas besoin de nous interroger pour savoir que ce sont les nôtres.
Le locuteur a une intention référentielle, mais il ne s’identifie pas pour lui-même et dés lors, l’identification qu’il fait pour lui-même de l’objet qu’il entend désigner n’existant pas, elle ne peut aboutir à un objet différent de la référence sémantique.
On notera enfin , dans la mesure ou les prénoms personnels sont des termes référentiels , la valeur et l’utilité de ce qu’on appelle les règles de préservation de la référence , règles dont on peut appliquer pour mieux comprendre et expliquer la subjectivité qu’offre la lange . Ces règles sont :
1) Quant le locuteur rapporte son propre discours ou sa propre pensée, il doit utiliser je pour référer à lui-même.
2) Quand le locuteur rapporte son propre discours ou le discours de quelqu’un d’autre à propos de son interlocuteur, il doit utiliser tu pour référer à son interlocuteur
3) Quand le locuteur rapporte le discours de quelqu’un de différent de lui-même ou de l’interlocuteur, ou à propos de quelqu’un de différent de lui-même ou de son interlocuteur, il doit utiliser il/elle ou une autre expression coréférentielle pour désigner cet individu
Peut-on dire que ces règles suffisent pour comprendre la subjectivité langagière ? la réponse est malheureusement négative. Il faut donc faire recours à la préservation de la transparence propositionnelle (voir Castaňeda 1979 ,1989).
Castaňeda avance une théorie de la référence qui s’appui sur la distinction entre trois phénomènes (majeurs) le plus souvent confondus :
1) La first person thinking reference , c’est –à-dire la référence qu’un individu donné fait à une entité par le simple fait d’y penser.
2) La second person attribution of reference , ou l’attribution qu’un locuteur fait à une personne (ou à une personne qu’il croit autre ) , à tort ou à raison , d’un acte de référence .
3) La dénotation inscrite dans le sens lexical.
La transparence ou l’opacité propositionnelle tiennent à la fidélité entre le rapport de la pensée ou de la parole par un tiers et la pensée ou la parole de ce tiers elle-même.
Si l’on revient à notre problématique, que peut-on en dire ?
Qu’il est essentiel que la transparence propositionnelle soit maximale. Toute ambiguïté sera expliquée par un calcul logique du sens, un analyse des propositions mais avec recours à la notion de croyance dans l’emploi langagière. Ainsi on voit naitre la notion de l’univers.
4-Notion de l’univers :
L’opposition opaque /transparence s’explique au moyen du notion d’univers. Un contexte est déclaré opaque quand il se prête à une lecture telle que la substitution d’expressions co-référentielles n’en préserve par la valeur de vérité :
Exemple :
1) Œdipe voulait épouser sa mère.
2) Œdipe voulait épouser Jocaste.
(1) et (2) sont vrais dans l’univers de locuteur (qui sait que Jocaste est la mère d’ Œdipe) mais (1) est faux dans l’univers d’ Œdipe (qui ignore que Jocaste est sa mère )
Univers de croyance :
Selon R. Martin, le propre de la vérité langagière est une vérité prise en charge par un sujet . Un énoncé est vrai pour quelqu’un .Tout l’effort du locuteur consiste à faire admettre ce qu’il croit être vrai .Une assertion véhicule en tant que telle sa propre vérité : celle-ci vaut à tout le moins à l’intérieur d’un univers dont le locuteur – à tort ou à raison , de bonne foi ou non – se porte le garant
• Exemple :
« Cette erreur n’en était pas une ».
A dit cette erreur est une
B reposte
A dans un instant précédente
A lui-même dans un instant qui suit (univers actuel)
Cette « erreur » n’en était pas une.
De ce fait , R. Martin définit l’univers de croyance comme « l’ensemble indéfini des propositions que le locuteur au moment ou il s’exprime , tient pour vraies ou qu’il peut accréditer comme telle » (P38) et insiste sur l’aspect purement théorique de cette notion.
Il faut noter que l’univers de croyance se divise en deux univers :
• Univers actuel : C’est l'ensemble des propositions auxquelles le locuteur attribue effectivement une valeur de vérité. (PLS.P40)
• Univers virtuel : C’est l'ensemble des propositions par le locuteur décidables c’est-à-dire dont il est en mesure de spécifier les conditions de vérité. (PLS.P40)

L’univers de croyance varie dans le temps et n’échappe pas à la contradiction, mais ce sont les mondes qui constituent l’univers de croyances, sont des ensembles de propositions non contradictoires tel que les mondes possibles.

Selon le modèle de R. Martin, on distingue, dans l’univers de croyance deux sortes de mondes possibles :
1) Mondes potentiels : ces mondes ne contiennent aucune propositions contradictoires avec celles du monde que le locuteur admet comme le monde de ce qui est (m₀).
• Exemple: il est possible que Pierre soit revenu
2) Mondes contrefactuels : Ces mondes contiennent au moins une proposition contradictoire avec celles de m₀, ils donnent pour vraies une proposition qui, dans le monde de ce qui est, est admise pour fausse.
Exemple: si pierre avait réussi
La réussite de pierre est évoqué dans un monde contrefactuel.

Images d’univers :
Au lieu de conférer lui-même à une proposition une valeur de vérité, le locuteur peut aussi la situer dans quelques univers qu’il évoque.
• Image= la représentation d’un univers dans le discours.
• Il y a image d’univers dés lors que, épistémologiquement, le locuteur renvoie, dans son discours , à un univers de croyance.
Il y a plusieurs cas qui créent des effets de « polyphonie » : à la voix du locuteur se mêlent d’autres voix liées à des « images d’univers ».
Conclusion :
La notion du locuteur est primordiale dans l’analyse sémantique et pragmatique, dés lors qu’elle est purement théorique, elle peut rejoindre la notion de l’univers purement théorique elle aussi, mais qui a le privilège d’être le lieu où se détermine la vérité de ce qui est dit : c’est là qu’interviennent les temps ,les modes, et que s’exerce la fonction référentielle du langage .
La notion de polyphonie n’est plus un fait du discours mais un fait lié à la notion de contrefactualité – et conséquemment d’image d’univers où les mondes contrefactuels prennent place – qui affecte un grand nombre de phénomènes linguistiques.
La notion du sujet parlant (ou de conscience) n’est plus un concept métaphysique qui échappe à toute critique mais une présence symbolique de l’état d’esprit, d’un mot le sujet parlant est une croyance.

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commentaires

S
<br /> je dois vous signaler les mots "leteraire" et "emprinte" à corriger !!! ceci dit la notion d'énonciateur n'est pas celle de l'auteur effectif forcément, selon Maingueneau, que pouvez vous dire à<br /> propos de cela?<br /> CORDIALEMENT<br /> <br /> <br />
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